• Dec 4, 2025

La culture neuroatypique versus le monde médical

  • Cécile Heyvaert
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Chronique : le patient, le médecin et Internet Sur un ton décalé et humoristique, cet article aborde un sujet très sérieux : la "culture neuroatypique". Face à la pénurie de médecins et aux délais de consultation, les communautés en ligne jouent un rôle croissant. Sont-elles un danger ou une ressource ? Comment naviguer entre entraide précieuse et désinformation ? Une plongée sociologique dans le monde des patients connectés, pour réconcilier le savoir médical et le vécu expérientiel.

Il était une fois, un patient. Il se rendit chez un psychiatre, en ressortit avec un diagnostic de TDAH et un trouble de la personnalité borderline et un rendez-vous la semaine suivante.

Le docteur, content du travail accompli, termina sa journée de travail, ferma la porte de son cabinet, et alla manger une tarte aux pommes, ou se livrer à toute autre activité qui lui semblait bonne en dehors de ses heures de travail. Le lendemain et les jours suivants, il y avait d’autres personnes dont il devait s’occuper.

La semaine suivante, son patient se rendit de nouveau au cabinet. Il s’adressa au professionnel en ces termes :

— Je me suis renseigné, et c’est vrai que, en tant que border collie…

— Hein ?

La culture neuroatypique, est-ce que ça existe ?

dring ! Dring !

— Bonjour, ici Roger au téléphone, bureau des appels fictifs pour expliquer des trucs sur le TDAH vu par l’angle d’un concerné et bénévole à HyperSuper TDAH France, j’écoute ?

— Vite ! Euh… je me suis enfermé dans les toilettes du cabinet en prétextant une envie pressante. Mon patient est allé voir son trouble sur Internet et maintenant il se prend pour un chien de berger !

— Du calme, docteur. Tout va bien. Je vais tout vous expliquer.

— Ah oui ? Faites vite, alors.

— Votre patient a probablement dialogué avec des pairs et est tombé sur une communauté neuroatypique en ligne : un groupe uni par un lien social, mais sur Internet. Et il est en train de découvrir une culture. Je vais citer Wikipédia : en sociologie, comme en éthologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d'individus » et comme « ce qui le soude », c'est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et inventé. Ainsi, pour une organisation internationale comme l'UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »

— Hein ? Mais ce ne sont pas des accompagnants professionnels ? Ces gens veulent avoir un mot à dire sur une condition de santé alors qu’ils n’ont aucune qualification ! C’est dangereux pour la santé des patients.

— Combien de temps pour avoir un rendez-vous avec vous, docteur ?

— Pour un nouveau patient, environ un an… Je suis l’un des deux seuls psychiatres de mon département à m’occuper des patients avec un TDAH.

— Et vous arrivez à voir ensemble tous les symptômes en un rendez-vous, établir un diagnostic en quelques séances, faire une liste de recommandation et éventuellement un traitement médicamenteux et hop, ça va mieux ?

— Bien sûr que non. Je ne suis pas magicien ! Faut que le patient pense à me citer ses symptômes parce que je ne suis pas non plus devin, et que je sois observateur moi-même. Ensuite il faut que je lui explique les consignes de façon pédagogique, en espérant qu’il comprenne sans malentendu. Et le traitement, ben ce n’est pas non plus magique. On a besoin de temps avant de voir si quelque chose fonctionne. Et mon emploi du temps est plein aujourd’hui, je vais me mettre en retard sur mon planning, là !

— Ben voilà. Il est là l’intérêt des communautés et de la culture neuroatypique.

— Ah bon ? Vous trouvez ?

— Parfois le patient oublie de décrire certains symptômes, ou vit des trucs tellement compliqués qu’il est difficile de faire le tri entre les symptômes et les causes en une fois. Et les soignants qualifiés pour le TDAH sont tous sous l’eau, vous le déplorez vous-même. On peut vivre très bien avec un TDAH, mais ça demande un entrainement tel des heures de conduite. Étant donné l’afflux du nombre de demandes pour des diagnostics et des suivis, tous les aspects du TDAH qui ne figurent pas dans l’acronyme passent facilement à la trappe.

Alors oui : les patients ont besoin de ces formes d’entraides :

  • Ça permet de faire un tour d’horizon plus large sur les symptômes et les solutions. “Ah bon ? L’état désastreux de mon compte en banque et de ma vie sentimentale peut être lié à mon TDAH ?”

  • Fréquenter d’autres personnes concernées, c’est aussi voir qu’on n’est finalement pas aussi étranges et anormaux qu’on l’imaginait. Ça permet aussi d’apprendre à distinguer sa personnalité et son TDAH.

  • Parfois, juste partager des blagues sur des expériences vécues, ça aide à s’approprier son propre diagnostic et à se sentir en confiance pour le traiter ensuite. Les mêmes ne remplacent pas une TCC ou une médication, mais ils permettent de résumer des expériences vécues et communes et d’ouvrir les discussions.

  • Les patients arrivent avec chacun leurs comorbidités : troubles du comportement alimentaires, problèmes articulaires, sociaux… Qui dépassent souvent le cadre du seul TDAH et peuvent poser des questions qu’un seul accompagnant ne sera pas en mesure de résoudre. La communauté permet aussi d’aider les personnes à s’orienter en fonction des problématiques.

— Mais est-ce que mon patient ne risque pas de tomber sur des gens bizarres qui vont lui conseiller d’acheter très cher du persil spécial à se mettre dans les oreilles, mettant à la fois en danger son compte en banque et sa santé ?

— Ah, c’est possible. Mais les conseils farfelus, voire dangereux, viennent aussi parfois de vos confrères ou des journalistes généralistes qui ne prennent pas de deuxième avis avant de sortir un article incorrect. Vous avez encore des collègues qui “ne croient pas au TDAH”, n’est-ce pas ?

— Quand je dis que je suis l’un des seuls à poser le diagnostic dans mon département…

— Les récits d’expérience, outre de pouvoir donner plus d’échos aux propos des accompagnants, permettent aussi d’accepter plus facilement le diagnostic en partageant des expériences de vie qui feront échos aux personnes, plus que dans les médias où la représentation du TDAH est très limitée et rarement de qualité. N’oubliez pas en outre que les personnes diagnostiquées tard ont parfois eu des expériences passées très négatives avec le corps médical. On ne peut pas décemment attendre de toute la population atteinte d’un TDAH qu’elle se plonge dans des études spécialisées en anglais et sache estimer leur pertinence avant d’accepter un traitement ou une thérapie (ou se mettent à lire des ouvrages dédiés aux professionnels pour enseigner la TCC, tant qu’on y est). La validation d’une méthode par des pairs avant de l’employer sera beaucoup plus rassurante pour les patients ou leurs parents. Même si, je vous l’accorde, d’un point de scientifique ce n’est pas rationnel, juste humain.

— D’accord, mais je ne suis pas totalement rassuré par cette histoire de chien.

— Demandez à votre patient ce qu’il a compris. Même s’il n’a pas tout juste, il a peut-être déjà vu plus de choses que vous auriez pu lui en présenter en quelques séances et pourra mieux comprendre l’utilité de ce que vous comptez lui proposer. Peut-être que, plus tard, il pourra aussi faire passer des messages pour aider d’autres patients.

— Je ne sais pas si je dois vous dire merci là tout de suite, mais je vais essayer ça.

clic

Le psychiatre retourna s’asseoir dans son cabinet de travail. Il hésita un instant, regarda son patient, respira profondément et répéta :

— Vous pouvez m’en dire plus sur cette histoire de border collie ?

— Oui ! J’ai réfléchi aux listes de critères que vous m’avez montré la semaine dernière et… Ben je pensais que mes réactions étaient normales, que tout le monde vivait les choses comme moi, alors ça m’avait fait un choc. Donc je suis allé voir sur Internet. Dans le monde anglophone, Border Collie c’est le surnom que les patients borderline se donnent parfois entre eux. Car ça fait moins peur, vous comprenez ?

Le psychiatre comprenait. Il poussa un gros soupir intérieur de soulagement.

— Et qu’est-ce que vous avez appris de plus sur votre condition, alors ?

La conversation pouvait reprendre. Il recommanda son patient à un psychologue pratiquant la thérapie dialectique comportementale. Le patient connaissait déjà le terme et comprenait l’intérêt de la chose. Finalement, le rendez-vous s’était déroulé sans accroc.

L’instant pratique : tout ce qui est sur Internet est-il bon pour vous ?

— Roger ? Mais le monsieur a raccroché et continue sa consultation ! Tu parles à qui, là ?

— Heu…  Je ne sais pas. Je parle… En général ?

Réponse : bien sûr que non, on peut trouver de tas d’âneries sur Internet, dont certaines sont carrément dangereuses. Quelques rappels rapides sur la façon de se renseigner sur Internet en essayant de ne pas faire n’importe quoi :

1. Nous vivons à l’ère du technoféodalisme, où, si c’est gratuit, vous êtes le produit.

Traduction : les communautés en ligne, existant le plus souvent sur des réseaux sociaux, sont tributaires de leur hébergeur (Facebook, LinkedIn, TikTok et ainsi de suite) pour leur présence. En échange d’un accès gratuit à ces groupes, le réseau va noter votre historique de recherche et vous proposer des publicités. Si vous n’avez pas coché toutes les cases de protection de vos données personnelles (oui, c’est à ça que sert entre autres le règlement européen sur la protection des données), ces encarts publicitaires vont être achetés par des gens qui ont sélectionné les mots-clés correspondants à vos recherches. Donc, même si vous cherchez de l’information sérieuse, vous pouvez être inondé par des pubs qui ne le sont pas du tout très rapidement.

2. Les personnes neuroatypiques ne sont pas les 101 dalmatiens.

Traduction : vous allez trouver des tas de gens qui ont des expériences qui vont vous donner des idées, de l’espoir, vous indigner aussi. Attention quand même à ne pas vous confier à tout le monde et n’importe comment sur Internet. Tous les gens avec des neuroatypies ne sont pas automatiquement de bonnes personnes.

3. Vous êtes face à d’autres patients, pas des accompagnants ou des punchingballs.

(NB : bien évidemment les accompagnants ne sont pas non plus des punchingballs).

Traduction : vous allez croiser des gens avec tous les caractères possibles à divers degrés de régulation émotionnelle, et ça vaut pour vous aussi. Contrairement à ce que l’algorithme des réseaux sociaux et votre TDAH veulent vous faire croire, le monde n’a pas nécessairement besoin de votre avis sur les messages qui vous indignent ou vous plongent dans un état de stress pouvant gâcher vos prochaines heures. Vous avez le droit de ne pas y répondre ou de les garder pour le lendemain pour éviter de surréagir (sous-traitez le problème à un modérateur ou attendez de voir comment d’autres personnes réagissent en cas de doute). Et de ne pas trainer sur les groupes ou les forums avec une ambiance trop négative si vous sentez que cela vous fait plus de mal que de bien.

4. Le minuteur sur votre PC, votre téléphone ou celui de votre cuisine est votre meilleur ami.

Faire une hyperfixette sur son TDAH et se renseigner au maximum est une excellente stratégie pour apprendre à vivre avec, malheureusement, votre entourage peut en avoir marre que vous soyez une fois de plus scotché devant un écran (de même que votre organisme, si vous oubliez de boire, de manger, ou tout à la fois si vous avez de la soupe en train de cuire sur le feu pendant que vous scrollez). Pensez donc toujours à prendre lever le nez et aller prendre l’air.

La "Pair-aidance" numérique Derrière l'humour de ce texte se cachent des concepts validés par la recherche en santé publique : Le Savoir Expérientiel : contrairement au savoir théorique du médecin, le patient possède un savoir issu de son vécu. La Haute Autorité de Santé (HAS) reconnaît aujourd'hui l'importance de ce partenariat pour améliorer l'adhésion aux traitements. L'Empowerment (Pouvoir d'agir) : les études montrent que les patients qui participent à des communautés de pairs (groupes de soutien) gèrent souvent mieux leur pathologie, à condition d'avoir une bonne littératie en santé (savoir trier l'info), comme le rappelle la fin de l'article. Attention au biais de confirmation : internet peut enfermer dans des bulles. Garder un esprit critique est indispensable pour ne pas confondre opinion et fait scientifique.

 

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William Messica3 j

Article très pertinent. Un espace d'échange entre pairs est souvent d'un grand soutient. Les réseaux sociaux comportent bien entendu leur part de risque. Mais une association sérieuse comme TDAH France avec des bénévoles pairs triés sur le volet (souvent à un stade avancé sur "la voie du rétablissement") et partageant des informations vérifiées est une aide inestimable. Qui a dit que seuls les professionnels pouvaient nous permettre de nous sentir compris et épaulés et nous aider à avancer?

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